Les incendies de forêt constituent un risque majeur pour de nombreux pays, avec 350 millions d’hectares de forêt détruits chaque année. Le changement climatique, qui entraine une extension des périodes de sécheresse et des vagues de chaleur, accroit le danger et de nouvelles régions seront probablement concernées dans le futur, notamment dans l’ouest, le nord et le centre de l’Europe.
L’équipe travaille sur plusieurs objectifs scientifiques, afin non seulement d’accroitre les connaissances sur le phénomène incendie mais également d’apporter des réponses scientifiques aux questionnements des services opérationnels. Cette recherche finalisée s’effectue, depuis toujours, en interaction forte avec les acteurs non académiques (SIS 2A, SIS 2B, ONF, Sécurité Civile...) et académiques. En effet, nos recherches s’appuient sur des partenariats avec plusieurs laboratoires nationaux et internationaux. On peut citer, par exemple, les collaborations avec les laboratoires français comme le CORIA, M2P2, le CERFACS, le Laero, l'INRIA, ou avec les équipes internationales des Universités de San José, de York, du Liban, de Moncton, de Sheffield, de l’USDA Forest service...
L’équipe FEUX allie des compétences dans les domaines de la physique, la chimie, l’écologie, l’informatique et la vision (traitement d’image). Nos travaux se déploient sur quatre niveaux d’échelles : l’échelle fine (du mm à quelques cm) concerne les problèmes de dégradation thermique, de composition des fumées… ; l’échelle du laboratoire (de l’ordre du mètre) où sont étudiés les mécanismes entrant en jeu lors de la combustion des plantes (effet de pente, de l’humidité…) ; l’échelle de la parcelle (10 à 100 m) où sont testés (i) les mécanismes liés à l’ensemble du front de feu et à sa propagation dans des conditions moins contrôlées mais plus réalistes, (ii) l’impact des feux sur les végétaux ; l’échelle de la vallée (plusieurs km) où (i) est développé le simulateur d’incendie (ii) est prédit le risque incendie. Quatre axes scientifiques ont été déclinés pour structurer notre recherche sur la période 2024-2028.
Axe 1 Comportement au feu des matériaux : 4 objectifs scientifiques sont poursuivis.
- Evolution des modèles cinétiques. L’équipe a acquis une solide expertise en cinétique de dégradation des matériaux appliquée aux végétaux. Nous nous sommes dotés d’outils d’analyse thermique : Analyseur Enthalpique Différentiel (DSC) et Analyseur ThermoGravimétrique (ATG). Ces dispositifs sont complétés par un analyseur Infra-Rouge à Transformée de Fourier (IRTF). Les travaux sont focalisées sur l’impact d’un changement de régime de chauffe et d’atmosphère environnante (variation d'oxygène) sur le terme source.
- Etude du comportement au feu des matériaux. Cette activité s’inscrit dans la continuité des travaux menés lors de la précédente période ayant permis la mise en œuvre d’approches expérimentales pour étudier la réaction au feu de matériaux (végétaux et de construction) face à trois sollicitations thermiques : rayonnement, brandons et flamme. Nous souhaitons nous situer en avance de phase par rapport aux acteurs de la normalisation en proposant des méthodes et dispositifs expérimentaux susceptibles de mieux répondre à l’évaluation des performances des éléments de construction et poursuivre nos études sur la modélisation multi-échelles des termes sources de masse pour les combustibles végétaux. Il n’existe pas de guides ou normes dédiés à la qualification de la vulnérabilité de ces matériaux dans le cadre des incendies de végétation. A l’échelle matière (ATG), à l’échelle matériaux (cône calorimètre) et à l’échelle produit (panneaux radiants et attaque à la flamme avec le grand calorimètre), les questionnements scientifiques concerneront l’interaction flamme-structure et l’interaction rayonnement-structure.
- Exposition à la fumée des feux de forêt : rôle des particules fines et ultra-fines sur la santé vasculaire.
La précédente période a permis la caractérisation chimique des fumées émises par des combustibles forestiers. Nous avons montré que les fumées étaient constituées de différents polluants dont les principaux sont le CO2, le CO, les NOx, et les aérosols. D’autres composés sont émis dans de plus faibles quantités, mais sont importants du point de vue de leurs toxicités, comme par exemple les COV dont certains sont CMR. Il existe une forte interrogation sur la nature et l’effet des aérosols sur la santé Humaine. En effet, ces derniers sont peu étudiés. L’objectif principal est de déterminer si la nature et la dose des particules fines et ultra-fines contenues dans la fumée des feux de forêt peut nuire à la santé cardiovasculaire et micro-vasculaire des pompiers. Les questionnements scientifiques comprennent : la mesure des aérosols lors de feux de végétation ; l’identification de marqueurs de la fonction vasculaire et micro-vasculaire ; l’identification de marqueur biologique des aérosols.
- Etude et amélioration des retardateurs de flamme bio-sourcés. Nous travaillons sur le développement de retardateurs de flammes bio-sourcés . L’objectif consiste, à partir des extraits de bois, à mettre au point puis à tester un retardateur de flammes pour les matériaux de construction et d’aménagement (en bois dans un premier temps) qui ait une empreinte environnementale faible. Les questionnements scientifiques porteront sur la caractérisation chimique des extraits de bois, le mode d’application des retardateurs, la formulation, les modes d’actions des retardateurs de flamme bio-sourcé et enfin le comportement au feu des matériaux traités et le vieillissement.
Axe 2 Modélisation et simulation des incendies de forêt : 3 objectifs scientifiques sont poursuivis.
- Modélisation des feux de forêt. Les verrous scientifiques identifiés dans cet axe concernent : les critères de non-propagation d’un feu dans des conditions marginales, les feux de forte puissance (feux extrêmes – feux éruptifs), la prise en compte de l’hétérogénéité horizontale et verticale du couvert végétal par les modèles physiques simplifiés de propagation d’incendie, la conception de prototypes utilisables par les opérationnels en phase de lutte ou pour la prévention, les tests d’approches théoriques à l’échelle du terrain. Les questionnement scientifique identifiés sont les suivants : comment quantifier les caractéristiques qui conduisent au succès d’un brûlage dirigé conduit sous des conditions marginales ? Comment quantifier l’influence de l’hétérogénéité du couvert végétal dans la dynamique d’un feu et son impact sur des cibles ? Comment prendre en compte les spécificités des feux de forte puissance dans l’efficacité des ouvrages dédiés à la prévention des incendies ? Comment répondre aux attentes des opérationnels lors du positionnement et du dimensionnement des ouvrages du type coupure du combustible utilisés pour casser la dynamique d’un incendie ?
- Etude de l’influence de la structure d’un complexe végétal forestier sur la dynamique d’un incendie. Prise en compte des conséquence du changement climatique. La période précédente nous a permis de caractériser le comportement au feu d’une famille de particules végétales (une litière) et d’un ensemble de familles de particules végétales (un arbuste) à l’aide d’approches expérimentales et de la simulation numérique par un modèle détaillé d’incendie. Pour 2024-2028, nous proposons d’étudier numériquement le comportement au feu d’un complexe végétal forestier (formé de plusieurs strates : sous-bois, strate arbustive, strate arborée) et d’analyser l’influence de la structure de ce complexe sur la dynamique d’un incendie. Les travaux envisagés permettront de répondre aux questions suivantes : Comment la conduite d’un peuplement forestier peut-elle réduire sa vulnérabilité à l’incendie ? Quelles stratégies permettent de rendre un peuplement auto-résistant à l’incendie (réduction de la puissance, rupture de la dynamique verticale d’un incendie, rupture de sa dynamique horizontale) ? Cette activité tiendra compte des éventuelles conséquences du changement climatique sur les types de complexes végétaux étudiés. Elle sera étroitement liée aux travaux menés sur les interfaces habitat-forêt décrits par la suite. Les questionnements concerneront principalement : l’obtention de grandeurs d’entrée pour décrire la structure des particules fines dans les arbres ; la validité des sous-modèles dans des complexes hétérogènes ; la portabilité des codes de calculs détaillés sur des grands domaines de calcul.
- Simulation des feux de forêt. 1) De ForeFire à FireCasterAPI. Le code ForeFire seul n'est pas suffisant pour initier une simulation, il nécessite des modèles de propagation développés au laboratoire et des données ainsi qu'un moyen de formater ces données de manière contrôlée et reproductible et un paramétrage standard pour comparer les résultats. L'API FireCaster, en développement, encapsule le solveur et les données (combustibles, météorologiques) pour permettre de simuler partout et à n’importe quel moment et ainsi changer l’échelle spatiale et temporelle des études possibles par la simulation. Le travail portera en particulier sur une meilleure estimation de l'état et la distribution de la végétation (collaboration interne à l’équipe) ainsi que le développement de modèles de sautes de feu en collaboration avec l’université de Melbourne (2 thèses en co-tutelles ont débuté en 2022/23 dans le cadre d’un projet conjoint). 2) Incendie vers atmosphère et pyro-convection extrême. L'une des perspectives de recherche les plus immédiates est sur le thème de la simulation incendie / atmosphère, pour les feux extrèmes (les 5% correspondant aux évennements les plus puissants des incendies en Europe). Les applications à grande échelle du modèle couplé incendie / météo sont également prévues dans le cadre de projets européens dont FIRE-RES (H2020 Green Deal). 3) Panache de fumée, convection d'accidents d'incendie industriels. Dans la suite du programme FirePlume, la perspective est de systématiser la simulation en champ proche de la convection et du transport de la fumée à distance intermédiaire (100 mètres à 100 km) par une approche similaire à ce qui a été fait pour le couplage feux de forêt / atmosphère. 4) Danger incendie de forêt par apprentissage profond. La simulation numérique de la propagation des feux de forêt peut être utile pour estimer, à haute résolution, la vulnérabilité du territoire par une agrégation d'un grand nombre de scénarios météorologiques et de points d'éclosion. Néanmoins le temps de calcul des simulateurs traditionnels est trop élevé pour être traitable sur de grandes zones, nécessitant une émulation par réseau de neurones profond à architecture hybride nommé DeepFire, réalisé en 2021, qu’il faut désormais exploiter. 5) Études transdisciplinaires sur le danger des incendies de forêt par leurs coûts économiques. Noté comme développement prioritaire par 2 rapports sénatoriaux sur les incendies de forêts (en 2019 et 2022), l'évaluation du coût d'un incendie nécessite la collecte de données sur l'utilisation des terres dans les zones menacées, mais aussi l’estimation de ce qu’aurait été le feu sans lutte. Une étude est déjà avancée avec l’UMR LISA. La perspective est de systématiser le calcul sur un grand nombre de cas d'études afin de valider les modèles et de calculer des primes de risques localisées.
Axe 3 Impact d’un feu sur son environnement : 4 objectifs scientifiques sont poursuivis.
- Impact des feux sur les peuplements. Les études de l’impact des brulages dirigés de sous-bois seront poursuivis jusqu’à la fin de l’année 2024, permettant de compléter nos données sur la physiologie du jeune arbre soumis au feu, ainsi que sur le fonctionnement du sol (reconstitution et qualité chimique de la litière, diversité des arthropodes, relevés botaniques). Cette thématique sera poursuivie par des études ponctuelles et plus modestes, en post-brulage dirigé ou post-incendie. Nos travaux principaux s’orienteront sur le comportement au feu de la végétation en relation avec l’eau disponible dans le sol. En effet, le stress hydrique du combustible vivant ne peut se limiter à la mesure de la teneur en eau sans tenir compte des changements physiologiques des feuilles et de la plante entière, au fil des saisons et des années. Les paramètres morphologiques et physiologiques des plantes, qui contrôlent la circulation et la libération de l’eau, peuvent permettre de mieux comprendre les phénomènes d'inflammation et de comportement au feu des combustibles vivants. La pyroécophysiologie nous permettra, en plus de mieux comprendre le comportement hydraulique de l’arbre en situation de sécheresse et de feu, d’alimenter les modèles de propagation d’incendie (initié dans l’ANR Firecaster) en intrants de végétation/teneur en eau.
- Dimensionnement des ouvrages. Pour faire suite à la période précédente, nous envisageons de faire évoluer l’outil DIMZAL afin de l’associer au simulateur de comportement et d’impact qui a été développé au cours du précédent contrat.
- Optimiser les espaces défendables et renforcer la résistance des constructions contre les incendies dans les interfaces habitat-forêt. En fin de période précédente, nous avons élaboré une double approche expérimentale et de simulation pour aborder la problématique des incendies dans les interfaces habitat-forêt. Cela nous a conduit à construire en collaboration avec le SIS 2B une plateforme expérimentale (EXPLORII) permettant d’étudier à l’échelle intégrale l’impact d’un incendie sur la façade d’une habitation. Pour la période à venir, nous souhaitons capitaliser cet investissement et le mettre à profit pour travailler sur : l’optimisation des espaces défendables contre l’incendie, le renforcement de la résistance des constructions et le développement de mesures de mitigation. Les questionnements scientifiques concerneront notamment la discrimination des transferts radiatifs et convectifs et la prise en compte de l’humidité dans les combustibles de type haies situés au voisinage des habitations.
- Etude de l’exposition des populations et des personnels aux fumées, proche de l’incendie. Cette activité s’inscrit dans la continuité des travaux sur la caractérisation des polluants d’incendie de forêt (gaz, COV et SCOV, particules fines). Cette caractérisation des fumées a été principalement réalisée en laboratoire au moyen des calorimètres (cônes et LSHR) permettant une combustion contrôlée et normée. Nous souhaitons traiter la problématique des incendies aux interfaces habitat-forêt du point de vue de la toxicité des fumées et leurs potentiels impacts à la fois sur les personnes proches de l’incendie mais également sur la qualité de l’air intérieur. Pour cela, nous utiliserons la plateforme expérimentale EXPLORII. Il s’agira de caractériser les fumées en portant une attention particulière sur les aérosols (concentration, morphologie et granulométrie). Les aérosols représentent le polluant de l’air le plus invariablement élevé par rapport aux seuils réglementaires dans les zones impactées par les fumées. À cette fin, des expériences à l'échelle du logement seront menées pour évaluer les risques pour la santé humaine dus à l'exposition à la fumée à proximité d'une maison (c'est-à-dire risque encouru par les pompiers ou les propriétaires défendant la structure) soit à l'intérieur (c'est-à-dire le risque encouru par les habitants sur place). Les données collectées sur les expériences de terrain serviront dans un second temps, à simuler des scénarii d’incendies à l’interface habitat-forêt du point de vue de la dispersion des fumées et du risque pour les personnes exposées aux fumées à proximité. Les questionnements scientifiques concerneront : la caractérisation des polluants primaires et plus particulièrement les PM1 et PM2,5 ; le rôle de la VMC sur le remplissage des fumées ; la qualité de l’air intérieur post-incendie et la durée de vie des polluants ; la dispersion des fumées, les effets sur la population et le personnel intervenant.
Axe 4 Surveillance de l’écosystème d’un territoire – Application aux feux de végétation : 2 objectifs scientifiques sont poursuivis.
- Plateforme d’Instrumentation Aéroportée - Terrestre. Quelles plus-values peut apporter une Plateforme d’Instrumentation Aéroportée-Terrestre pour le monitoring de l’écosystème d’un territoire ? Depuis 2004 des recherches sont menées en vision pour compléter les dispositifs classiques de mesure dédiés aux incendies tels que les capteurs de flux et de température. Depuis 2014, des travaux ont été développés pour mesurer les caractéristiques géométriques de feux en propagation à l’échelle du semi-terrain à partir d’images prises par drone. Dans la continuité de ces travaux, des recherches seront réalisées pour développer une Plateforme d’Instrumentation Aéroportée-Terrestre associant des systèmes au sol et des systèmes aéroportés intégrant différents types de capteurs tels qu’un analyseur de gaz, des caméras multimodales, des capteurs de flux, un LIDAR et des méthodes de traitement. Ce dispositif sera utilisé pour recueillir des informations nécessaires à la compréhension des phénomènes intervenant lors de la propagation d’un incendie à l’échelle du terrain, à sa modélisation et à sa prédiction. Des données relatives au feu seront mesurées mais également relatives au terrain sur lequel se fait la propagation et à la végétation (cartographie). Il sera également initié une recherche sur des indicateurs de situation à risque pour l’être humain, par exemple en prenant en compte la position du front de feu par rapport à celles d’humains. Un travail d’estimation de précision, de corrélation entre les mesures et de transfert de technologie aux opérationnels de la lutte incendie et de l’aménagement du territoire sera effectué.
- Hybridation des systèmes d’analyse à l’échelle du terrain. Cette plateforme d’instrumentation sera complétée par un dispositif d’analyse de gaz aéropporté. En effet, depuis 2016 nos recherches se sont exportées à l’échelle du terrain avec le prototypage d’un dispositif de mesure de perte de masse qui permet d’obtenir des données thermogravimétriques en condition réelle de feu et l’utilisation d’un IRTF portable pour quantifier les émissions gazeuses. Désormais, nous souhaitons nous orienter vers une hybridation des systèmes d’analyse en complétant le dispositif de mesure au sol par des analyses aériennes obtenues grâce à un drone équipé d’un système d’analyse de gaz. Cette complémentarité de capteurs chimiques permettra de corréler les mesures au sol avec les mesures aéroportées.
Responsable du Projet FEUX : DR HDR Toussaint Barboni (barboni_t@univ-corse.fr)